Histoire

    13.08.1963

    La premiere des Trois Glorieuses journées

    Les Trois Glorieuses est le nom donné à la révolution qui, les 13-14 et 15 août 1963, renversa l’Abbé Youlou, premier président élu de la république du Congo (Brazzaville). Ce nom renvoie aux Trois Glorieuses de juillet 1830 en passant par les Trois Glorieuses du 26-27-28 août 1940 qui firent basculer l’Afrique équatoriale Française (AEF) dans le camp de la France libre. En août 1963, une révolte dirigée par les syndicalistes se transforma en révolution, du fait de l’appui massif de la population et tout particulièrement des jeunes de Brazzaville.

     

    A l’origine directe et événementielle de ces journées, il y a la volonté de l’abbé Youlou d’instaurer le parti unique, consacrant ainsi une situation de fait où son propre parti, l’Union démocratique de défense des intérêts africains (UDDIA) dominait absolument la vie politique, l’opposition – c’est-à-dire les restes du Parti progressiste congolais (PPC) et du Mouvement socialiste africain (MSA) –ayant été laminée.

     

    Pendant une tournée triomphale dans le Nord du pays en août 1962, Youlou annonce sa volonté d’instaurer le parti unique, ce que l’assemblée nationale avait d’ailleurs déjà inscrit à son ordre du jour dès le mois de mai, malgré le caractère anti-constitutionnel de la mesure. A son retour à Brazzaville, l’abbé convoque une table ronde pour discuter de la manière de procéder. Autour de la table, il y a des représentants des partis – PPC moribond, MSA et UDDIA - , des représentants des trois centrales syndicales – Confédération Générale Africaine des travailleurs (CGAT), Confédération africaine des travailleurs croyants (CATC, majoritaire) et Confédération africaine des syndicats libres (CASL) – des représentants de l’assemblée nationale et des représentants de l’armée. Le principe ne suscite a priori aucune opposition mais les leaders syndicaux vont profiter de l’occasion pour essayer de faire évoluer le système politique. Pendant que Youlou est en France, du 15 juin au 15 juillet, ils réussissent- ce qu’ils avaient déjà tenté plusieurs fois sans succès -, à s’unir au sein d’un Comité de fusion syndicale (CFS), dont Pascal Okcyemba-Morlende de la CATC est le Président et Julien Boukambou de la CGAT le vice-président, de même que Léon Angor de la CASL. Ils rédigent une déclaration commune qui met comme préalable à toute discussion la compression du gouvernement : de seize ministres et quatre secrétaires d’État à huit membres. Cela renvoie à la débauche ostentatoire des dépenses publiques et au faste indécent déployé par certains ministres, faste dont l’opinion apprécie de moins en moins l’ostentation. Le Comité se heurte à une fin de non-recevoir. Le 3 août s’ouvre la table ronde. Les syndicalistes, tout en ne formulant pas d’opposition de principe s’inquiètent d’un parti qui pourrait se transformer en outil d’oppression aux mains du gouvernement. Ce à quoi Youlou va répondre dans une déclaration radiodiffusée où il dénie aux syndicalistes le droit de faire de la politique. Il interdit de surcroît tous les meetings ayant un caractère politique ou contraires au principe d’indivisibilité nationale. Quand, le 9 août, Youlou exige de surcroît des syndicalistes qu’ils participent à la table ronde à titre purement individuel, ceux-ci quittent la séance. La rupture est consommée. Le CFS envisage alors de recourir à la grève générale. Il lance un mot d’ordre de rassemblement à la Bourse du travail pour le 13 août de 6 à 12h, dans le but d’élaborer une stratégie. De son côté le pouvoir se fait menaçant à la radio. Dans la nuit du 12 au 13, les dirigeants syndicaux se retrouvent au cimetière de la Tsiémé. Ils y ont déjà juré le 17 juillet, sur les puissances ancestrales, que si l’un était emprisonné, les autres devaient aller le libérer. Ils organisent un « arrêt de protestation », qui devrait prendre fin à 12 h le lendemain. Ils rejoignent la bourse du travail. Mais celle-ci est bientôt encerclée par les gendarmes qui vont attendre l’aube pour arrêter les trois hommes restés sur place : Adolphe Bengui, Abel Thauley-Ganga et François Gandou. Ils seront conduits au camp de gendarmerie du Djoué.

     

    A la nouvelle de leur arrestation, plusieurs rassemblements se forment dans les « Brazzaville noires », principalement à Bacongo et à Poto-Poto. A 7h, des groupes de jeunes convergent vers la bourse du travail (lieu initial du rassemblement) qu’ils trouvent occupée par la gendarmerie. Ils décident alors de se regrouper sur le terre-plein de la gare. Durant une heure, Pascal Ockyemba-Morlende harangue avec un haut-parleur la foule de 500 à 600 jeunes environ. A 8h, la foule est évaluée à 2000 ou 3000 manifestants et la gendarmerie congolaise reçoit l’ordre de refouler les manifestants sur le quartier de Poto-Poto (mais sans y parvenir). A 9h45, les manifestants se forment en colonne et prennent la direction du palais qui est gardé par 6 pelotons de la gendarmerie. En cours de route, un groupe de syndicalistes décide de bifurquer vers la prison pour libérer les trois syndicalistes enfermés la veille (sans savoir qu’ils ne sont pas dans cette prison). A 11h, les 3000 manifestants, rassemblés devant la prison, sont attaqués par l’armée avec des grenades offensives. Les syndicalistes décident alors de reprendre la direction du palais car il y a déjà plusieurs blessés. C’est à ce moment là que les militaires français considèrent que « l’affaire prend un caractère nettement révolutionnaire ». En effet, les syndicalistes ont attendu que l’armée congolaise se replie pour revenir devant la prison et forcer les portes d’entrée. A 12h, les manifestants ont donc réussi le coup de force d’entrer sans arme dans la prison centrale. Dans l’euphorie de cette première victoire, un groupe de syndicalistes décide de se diriger vers la radio mais ils sont refoulés par l’armée française, mobilisée pour l’occasion. Toutes ces actions témoignent d’un savoir faire révolutionnaire que certains syndicalistes ont acquis durant leurs diverses formations à l’étranger (URSS, Tchécoslovaquie, Chine populaire). En parallèle, les manifestants s’attaquent aux maisons des dignitaires du régime, accusés de s’être enrichi illégalement. Malgré les appels au calme lancés par Youlou et l’instauration d’un couvre feu de 18h à 8h du matin, la maison de Eugène Goma (directeur de la sûreté) est incendiée et les maisons du président de l’Assemblée et du ministre de la justice sont mises à sac.

     

    (https://maitron.fr/spip.php?article170818, notice Trois Glorieuses (Les) par Héloïse Kiriakou, version mise en ligne le 20 février 2015, dernière modification le 20 février 2015.)